Nous sommes le 1er mai, c’est la fête du travail, le 14e jour du mois du patrimoine et le 8e du ramadan.
Je me dis que pour un jour aussi important, on va parler de quelque chose de plus original : al-aoula ou la réserve de nourriture.
Al-aoula, la réserve ou le stock
Al-aoula est une tradition sociale pratiquée uniformément dans toute l’Algérie. Même si nous sommes désormais dans une économie de marché et qu’on peut acheter beaucoup de choses toute l’année, les habitudes ont la vie dure, on se retrouve encore à faire la réserve d’un tas de produits.
De fait, le premier aliment que les Algériens conservent est le couscous. Ils font ou font faire manuellement des quantités appréciables qui vont de 10 à 50 kg, à consommer durant plusieurs mois, voire toute l’année. Il y a aussi l’huile d’olives que nous retrouvons en grande quantité chez les gens, surtout ceux qui possèdent des oliviers, qu’ils soient encore en milieu rural ou habitants des villes.
Une grande tradition ancestrale que se partagent tous les Algériens est l’expression même de la philosophie d’al-aoula : yennayer. Yennayer marque le début de l’hiver. Les gens font le sondage de ce qui reste comme réserves pour eux-mêmes et pour tous les habitants du village qui doivent parvenir au printemps à l’abri du besoin. De toutes les productions du printemps, de l’été et de l’automne, tout doit parvenir jusqu’à la fin de l’hiver.
Al-aoula est un concept mythique qui respecte la vie de famille, on le dit utile aux envies des femmes enceintes (المتوحمات) et aussi pour les malades en fin de vie qui ont souvent envie de quelques fruits ou légumes hors saison.
Autrefois, al-aoula ne se faisait pas dans les placards. Elle avait ses espaces et ses outils particuliers. Des jarres (koufi) à la taille des richesses familiales occupaient une partie plus ou moins importante des grandes pièces, et des petites chambres en hauteur étaient entièrement consacrées à cet effet.
On conserve d’abord la semoule de blé dur, dans tous ses calibres, fine, moyenne et grosse, dans des sacs en lainage, surélevé du sol, de la farine de blé tendre, du couscous, mhamsa, et bercoucas. De même, les légumes comme les carottes, les navets, du chou-fleur, du fenouil, les olives, les tomates, les poivrons, le piment… La conservation de ceux-là se fait dans des bocaux en verre ou des jarres en terre cuite, plongée dans l’eau avec du sel, du vinaigre, des quartiers de citron, des branches de laurier et du fenouil sauvage. On conserve aussi dans l’huile, surtout pour les aliments cuits comme la tomate prête à la consommation ou les poivrons cuits et pelés.
La confiture faite maison est une forme citadine de conservation. On trouve les oranges, les coings, les pommes et même des raisins, pourtant difficile de les garder résistants avec la peau, chose dont excellent les femmes de Médéa.
Puis la conserve de viande salée séchée, plusieurs morceaux du mouton de Aïd Lakbir, notamment des parties précises, réservées au jour de Achoura et le jour du Mouloud.
La viande est coupée en carré corrects, parfois sans les détacher les uns des autres. Les morceaux sont plusieurs fois plongés et frottés dans du sel, jusqu’à bien en imprégner tous les cotés et en profondeur. « Monter les morceaux sur un fil, les accrocher dans un endroit aéré mais pas ensoleillé, couvrir avec une compresse, retourner parfois le tout et laisser sécher 5 à 6 jours. »
Enfin, des plats cuisinés peuvent être aussi entièrement conservés selon des méthodes particulières comme al-‘ousbane.
Pendant des siècles, les nomades, les hommes bleus du désert, séchaient les denrées alimentaires qu’ils transportaient dans leurs pérégrinations : tomates, ail, oignons… Aujourd’hui encore, même si les conditions socioéconomiques ont obligé la majorité d’entre eux à se sédentariser, ils continuent à pratiquer ce genre de conservation.
Le problème d’al-aoula, même si elle est encore largement pratiquée, est le congélateur qui permet aussi une longue conservation des aliments avec pratiquement pas de préparation sinon des sacs de congélation. Puis il y a la mondialisation qui permet d’avoir tout à n’importe quel moment de l’année. Si bien qu’on ne sait plus comment situer les fruits et légumes par rapport à sa saison.
Je ne sais pas si la notion de l’Aoula avec ses pratiques est importante. Mais si on perd tout ce qui ne semble pas important, en cédant à la facilité, on risque de se défaire peu à peu de tout ce qui constitue nos traditions identitaires, pour se retrouver un jour plongé dans une mondialisation imposée. Et on n’aura aucune empreinte culturelle pour marquer de notre présence le nouveau monde.
Ouiza Galleze