Friday, 24 April 2020 09:43

Qui peut encore monter un métier à tisser ? Burnous, Qechabiya, Hayek, Zerbiya

Dans les inventaires réalisés dans plusieurs région d’Algérie par des équipes de chercheurs du CNRPAH, certains éléments sont singuliers alors que d’autres traversent l’espace comme ils ont traversé le temps. Le tissage est un savoir-faire commun à tous les habitants d’Afrique du nord, de la Méditerranée et même au delà. Il varie à peine d’un pays à l’autre, d’une région à l’autre et d’une classe sociale à l’autre. Très ancien, il est encore en usage dans de nombreuses régions, généralement pratiqué par les femmes, dans un métier vertical (à haute lice) ou horizontal (à basse lice).
On fabrique des burnous, des qechabiya, des hayek, des zarbiya. Les outils utilisés, presque tous les mêmes, n’ont que le nom qui change, tantôt en arabe, tantôt en amazighe. Encore que, souvent les appellations sont du amazigh arabisé, et même francisé comme le cardage (aqardache).
La légendaire histoire de Pénélope, femme d’Ulysse roi d’Ithaque, montre bien que le métier à tisser concerne les femmes de toutes les catégories sociales, et n’exclut même pas les reines. On trouve certes des tisserands hommes. Mais ils en font une profession et la partie ritualisée du métier à tisser reste propre à l’espace féminin, car il existe des rites que les hommes ne connaissent pas, qu’ils ne transgressent pas non plus.
Certains villages sont connus et reconnus pour le prestige de leurs tisseuses, c’est le cas de Mas’aad des Ouled Nayel (Djelfa) et les Ath-Hichem de Kabylie. Les femmes, même très affairées, continuent de tisser pour la maison, pour le mariage de leurs filles, pour les hommes de la famille et de plus en plus pour le commerce.
Le tissage est un phénomène de société. L’outil du métier à tisser est un appareil ancestral que se transmettent les femmes de génération en génération. Sa fabrication est un ouvrage lourd, son montage aussi puisqu’il occupe la moitié d’une grande pièce, il est démonté à la fin de chaque ouvrage. Les matériaux de fabrication et la matière première sont liés au climat. Dans les régions à large élevage ovin, c’est la laine de mouton qui est l’élément de base. Dans les régions du Sud à large élevage camelin, c’est plutôt louber (poils de chameau) qui est utilisé. Il reste que louber est un élément très prisé et très cher parce qu’il faut plusieurs chameaux pour parvenir à réaliser une qechabiya. C’est ce qui explique la différence de prix entre le burnous et la kechabiya, me dit Fatima, une tisserande de Boussaâda, et non la main d’œuvre très féminine qui reste à peine évaluée. Pour alléger la dépense et optimiser le commerce, louber est parfois remplacé par de la fibre.
Un bon burnous ne doit pas peser plus de 500gr, et une bonne kechabiya pas plus de 700 gr, disent les connaisseurs. Les fabricants ne connaissent pas la retraite, car ce savoir-faire s’affine avec l’âge, et les tisserands deviennent en fin de vie de vraie école du métier d’art.
Le burnous est une spécialité pointue, d’un art privilégié, il se fabrique en une pièce et la symétrie entre la gauche et la droite, avec la mesure précise de la taille du porteur, sans patron, sans mètre ruban, relève d’une main de maitre. Mais beaucoup se désolent de la disparition des derniers spécialistes en la matière. Il suffit de voir les rues des villes et villages en hiver entièrement peuplés de qechabiya ou encore de manteaux pour tous les âges pour parvenir au constat que le burnous est désormais un matériau de musée. Alors que jusqu’aux années 50/60, les montagnes des hivers enneigés sont toutes peuplées de burnous.
Sur le terrain, même si je n’ai pas fait toutes les wilayas, j’ai rencontré encore quelques spécialistes à Boussaâda, en Kabylie, à Naâma, mais, urgence signalée, il faut qu’une opération de protection soit rapidement mise en œuvre, pour ne pas perdre ce métier de valeur qui est en perte de vitesse, menacé du danger de l’oubli.
Le métier à tisser, c’est aussi les tapis (zarbiya/zraba, au pluriel) qu’on trouve encore au nord et au sud, à l’est et à l’ouest du pays, avec des différences artistiques, alors que la technicité reste fondamentalement la même. Certains modèles utilisent la laine dans sa couleur nature, comme dans le tapis traditionnel de Ghardaïa. Alors qu’à Médèa, la décoration dépasse les formes géographiques de traits, de zigzags et de losanges, pour présenter des fleurs et des arbres, suivant un canevas, semblables aux travaux du point de croix.
Al-zarbiya, de tailles variables pour les murs et les sols, est un objet de décoration alors que le hayek est fonctionnel. Al-hayek, al-bourabah, al-hanbal, al-hawli… sont des noms attribués à presque un même ouvrage. Les différences entre eux sont subtiles, et pas dans le processes de fabrication. Mais ce n’est pas le propos du jour. Qu’il serve de literie ou de décoration, le hayek se retrouve dans plusieurs régions d’Algérie. L’exemple à citer est celui d’ath Hichem, couronné par un salon qui en est à sa 10ème édition. Essentiellement organisé par une écrasante présence féminine, la fête du tapis traditionnel d’Ath Hichem, qui se déroule dans la commune d’Aït Yahia (daïra d’Aïn El Hammam, dans la wilaya de Tizi Ouzou), rappelle chaque année (même si certaines années passent outre) que ce métier doit résister au temps, il doit se renouveler et passer au générations futures.
Pour résister à la modernité, dans un monde où les couettes sont plus chauffantes, plus légères plus pratiques et moins chères, les tisserands et tisserandes ont décidé de varier leur production, optant notamment pour la décoration maison. Les tapis sont réduits dans leurs dimensions pour couvrir des canapés d’une place, agrémentés par des coussins, des descentes de lit et même des nappes à bibelots.
Pour l’instant, ce qui sauve le patrimoine du hayek, de zarbiya et parfois du burnous, c’est encore la femme. Dans plusieurs régions du pays, les trousseaux de mariées comptent plusieurs pièces tissées main. Seul un inventaire global nous donnera une image fiable de ce qui existe encore comme détenteurs de ces métiers d’art dignes de l’orfèvre. Mais pour les garder, ces savoir-faire ont besoin d’une vraie place sur le marché dans l’économie nationale.

Ouiza Galleze

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